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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

bienfaiteurs. La vallée manque d’eau, et leurs terres sont d’une telle sécheresse qu’elles produisent le pire vin du monde, ce qui est un continuel chagrin pour les buveurs du pays. Las de piquette, ils ont convoqué dernièrement toutes leurs académies ; une aussi docte assemblée allait certainement inventer la pluie, sans plus de peine que si le bon Dieu s’en fût mêlé. Les savants se sont donc mis en campagne ; ils ont fait des études fort remarquables sur la nature et la pente des terrains, et ont conclu que rien ne serait plus facile que de dériver et d’amener dans la plaine les eaux du fleuve voisin, si cette diablesse de montagne ne se trouvait justement sur le passage. Observe, mon mignon, combien les hommes nos frères sont de pauvres sires. Ils étaient là une centaine à mesurer, à niveler, à dresser de superbes plans ; ils disaient, sans se tromper, ce qu’était la montagne, marbre, craie ou pierre à plâtre ; ils l’auraient pesée, s’ils l’avaient voulu, à quelques kilogrammes près ; et pas un, même le plus gros, n’a songé à la porter quelque part où elle ne gênât plus. Prends la montagne, Sidoine, mon mignon. Je vais chercher dans quel lieu nous pourrions bien la poser sans malencontre.

Sidoine ouvrit les bras et en entoura délicatement les rochers. Puis il fit un léger effort, se renversant en arrière, et se releva, serrant le fardeau contre sa poitrine. Il le soutint sur son genou, attendant que Médéric se décidât. Ce dernier hésitait.

― Je la ferais bien jeter à la mer, murmurait-il,