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À NINON

elles seront pour lui une courte distraction, et, comme il n’y verra pas les félicités qu’elles nous rappellent, elles lui sembleront bien vides et bien légères. Sans doute, il aura le droit de déclarer nos contes inutiles ; il conclura avec raison, dès les premières lignes, que ce sont là des riens, et que le mieux, pour éviter toute perte de temps, est de n’en pas lire davantage. En jugeant sévèrement nos bavardages, il ne sera que juste ; et moi, cependant, je sais combien je me sentirais attristé, dans mes affections, s’il lui prend fantaisie de me venir crier son jugement à l’oreille.

Certaine espèce de curieux a souvent cette fantaisie.

Une espérance me reste : c’est qu’il ne se trouvera pas une seule personne en ce pays qui ait la tentation de lire nos histoires. Notre siècle est vraiment bien trop occupé pour s’arrêter aux causeries de deux amants inconnus. Mes feuilles volantes passeront sans bruit dans la foule et te parviendront vierges encore. Ainsi, je puis être fou tout à mon aise ; je puis, comme autrefois, aller à l’aventure, insoucieux des sentiers. Toi seule me liras, je sais avec quelle indulgence.

Et maintenant, Ninon, j’ai satisfait tes vœux. Voici mes contes. N’élève plus ta voix en moi, cette voix du souvenir qui fait monter des larmes à mes yeux. Laisse en paix mon cœur qui a besoin de repos, et ne viens plus, dans mes jours de lutte, m’attrister en me rappelant nos paresseuses nuits. S’il te faut une promesse, je m’engage à t’aimer encore, plus tard, lorsque j’aurai