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LE CARNET DE DANSE

caresse de l’œil le tourbillon léger ; je cherche à surprendre tous les regards, toutes les paroles d’amour ; je m’enivre, immobile et en silence, de mouvement et de bruit, et je remercie la nymphe, ne m’ayant pas créé danseur, de m’avoir donné le sentiment de son art harmonieux.

À vrai dire, Ninette, je la préférerais, la blonde déesse, dans son amoureuse nudité, écartant et agitant sans lois sa blanche ceinture. Je la préférerais loin des salons, se croyant cachée à tout regard profane et traçant sur le gazon ses pas les plus capricieux. Là, à peine voilée et foulant mollement l’herbe de ses pieds roses, elle agirait dans son innocente liberté et trouverait le secret de la mélodie du mouvement. Là, j’irais, caché dans le feuillage, admirer son beau corps, mince et flexible, et suivre du regard les jeux de l’ombre sur ses épaules, selon que son caprice l’emporterait ou la ramènerait.

Mais, parfois, je me suis pris à la détester, lorsqu’elle s’est présentée à moi sous l’aspect d’une jeune coquette, bien empesée et niaisement décente ; lorsque je l’ai vue obéir aveuglément à un orchestre, faire la moue, paraître s’ennuyer, et, ne dansant pas pour danser, s’acquitter de ses pas comme d’un devoir. Je dirai le tout : jamais je n’ai admiré sans chagrin l’immortelle dans un salon. Ses fines jambes s’embarrassent dans les grandes jupes de nos élégantes ; elle se trouve par trop gênée, elle qui ne veut être que liberté et que caprice : et, troublée, elle se conforme lourdement à