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LE CARNET DE DANSE

qu’il rêve et rêve ce qu’il voit. Comme tous les enfants, elle s’était laissé éblouir par les dorures et par les lustres ; elle se croyait de bonne foi dans une sphère supérieure, parmi des êtres demi-dieux, graciés des mauvais côtés de la vie.

Légèrement brunes, ses joues avaient les reflets dorés des seins d’une fille de Sicile ; ses grands cils noirs voilaient à demi le feu de son regard. Oubliant toujours qu’elle ne se trouvait plus au couvent, elle contenait la vie ardente qui brûlait en elle. Dans un salon, elle n’était jamais qu’une petite fille, timide, presque sotte, rougissant pour un mot et baissant les yeux.

Viens, nous nous cacherons derrière les grands rideaux et nous verrons l’indolente étendre les bras et s’éveiller en découvrant ses pieds roses. Ne sois pas jalouse, Ninon : tous mes baisers sont pour toi.

Te souviens-tu ? onze heures sonnaient. La chambre était encore sombre. Le soleil du dehors se perdait dans les épaisses draperies des fenêtres, et une veilleuse, aux lueurs mourantes, luttait vainement avec l’ombre. Sur le lit, lorsque la flamme de la veilleuse se ravivait, apparaissait une forme blanche et indécise : un front pur, une gorge perdue sous des flots de dentelles ; plus loin, l’extrémité délicate d’un petit pied ; hors du lit, un bras de neige pendant, la main ouverte.

À deux reprises, la paresseuse se retourna sur la couche et s’endormit de nouveau, mais d’un sommeil