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CELLE QUI M’AIME

décidait pas à s’envoler, je fixai ses traits dans ma mémoire, et je me retirai.

Comme je sortais, je vis entrer l’Ami du peuple. Ce grave moraliste ne m’aperçut pas et courut donner le mauvais exemple d’une coupable curiosité. Sa longue échine, courbée en demi-cercle, frémit de désir ; puis, ne pouvant aller plus loin, il embrassa le verre magique.



VI


Je descendis les trois planches et me trouvai de nouveau dans la foule, décidé à chercher Celle qui m’aime, maintenant que je connaissais son sourire.

Les lampions fumaient, le tumulte croissait, le peuple se pressait à renverser les baraques. La fête en était à cette heure de joie idéale où l’on risque d’avoir le bonheur d’être étouffé.

J’avais, en me dressant, un horizon de bonnets de linge et de chapeaux de soie. J’avançais, poussant les hommes, tournant avec précaution les grandes jupes des dames. Peut-être était-ce cette capote rose ; peut-être cette coiffe de tulle ornée de rubans mauves ; peut-être cette délicieuse toque de paille à plume de cygne. Hélas ! la capote avait soixante ans ; la coiffe était laide et s’appuyait amoureusement à l’épaule d’un sapeur ; la toque riait aux éclats, agrandissant les plus beaux