Page:Zola - Fécondité.djvu/105

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nous n’avons rien, l’évidence est là. Et comme toi, chérie, je ferais contre mauvaise fortune bon cœur, je me montrerais plein de patience et même de gaieté, si je n’avais le remords inquiet de me dire que la gêne croissante où nous nous trouvons est notre œuvre… Oui, oui ! nous sommes coupables d’imprudence, d’imprévoyance.

À mesure qu’il parlait, elle donnait des signes grandissants de surprise. Elle s’était soulevée, se découvrant, montrant sa nudité ferme et blanche, que sa natte épaisse barrait d’un flot sombre, tandis que, dans son visage de lait, luisaient ses yeux noirs, élargis.

— Mais qu’as-tu, qu’as-tu donc ce soir, mon ami ? répéta-t-elle. Toi si bon, toi si simple, qui ne parles jamais argent, qui es si heureux dans notre médiocrité, tu causes là comme mon cousin Beauchêne… Allons, tu as dû passer une mauvaise journée à Paris, viens te coucher, oublie ta peine.

Il se leva enfin, se déshabilla, en murmurant encore de sourdes paroles.

— Je vais me coucher, certainement. Ça n’empêche pas que nous sommes ici dans une masure, et que, s’il pleuvait encore cette nuit, les enfants seraient mouillés. Comment veux-tu que je ne fasse pas des comparaisons ?… Ces pauvres enfants ! Je suis comme les autres papas, je les voudrais si heureux !

Et il allait se mettre au lit, lorsqu’une plainte qu’il crut entendre dans la pièce voisine, l’arrêta net au milieu de la chambre. Après avoir écouté, hanté quand même d’inquiétude, il finit par reprendre la lampe, pour retourner voir les petits, pieds nus, en chemise. Au bout de deux ou trois minutes, quand il reparut, silencieux, marchant avec des précautions infinies, il trouva la mère assise parmi les draps, le cou tendu, écoutant toujours, prête à le rejoindre au moindre appel.

— Ce n’est rien, dit-il très bas, comme si les enfants