Page:Zola - Fécondité.djvu/127

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Saint-Germain s’étendent à côté, au-delà d’avenues magnifiques ; de sorte que l’usine Beauchêne, située sur le quai, ainsi que le patron le disait parfois en riant, était à cheval, tournant le dos à la misère, faisant face à toutes les prospérités, à toutes les joies de ce monde.

Mathieu aimait ces avenues, plantées de beaux arbres qui, de toutes parts, prolongent le Champ de Mars et l’Esplanade des Invalides, en de larges trouées de grand air et de soleil. Il n’est pas un coin de Paris plus calme, où la promenade soit plus libre et plus douce, où l’on baigne dans plus de rêverie et dans plus de grandeur. Mais surtout il adorait le quai, ce quai d’Orsay si long, si varié qui commence à la rue du Bac, en plein centre, passe devant le Palais-Bourbon, traverse l’Esplanade, traverse encore le Champ de Mars, pour ne finir qu’au boulevard de Grenelle, au pays noir des usines. Et quel élargissement majestueux, quels ombrages centenaires, à ce tournant de la Seine, de la manufacture des Tabacs au jardin actuel de la tour Eiffel ! Le fleuve se déroule, d’une grâce souveraine. L’avenue s’étend, sous les plus beaux arbres du monde. On y marche vraiment en une paix délicieuse, où le grand Paris semble mettre toute sa force et tout son charme.

C’était jusque-là que Mathieu voulait mener sa chère souffrante et tout son monde. Seulement, l’aventure était grosse, il s’agissait d’avoir du courage. Les petits pieds de Rose surtout donnaient des inquiétudes. On confia la fillette à Ambroise, qui, bien que le cadet, était déjà un gaillard décidé. Tous deux ouvrirent la marche. Puis, vinrent Blaise et Denis, les jumeaux. Puis, le papa et la maman furent l’arrière-garde. Cela, sur le trottoir, fit un vrai pensionnat. Et d’abord, les choses allèrent à merveille, on avançait naturellement d’un pas de tortue, en flânant au soleil si tiède et si gai. Le bel après-midi d’hiver était d’une pureté, d’une clarté