Page:Zola - Fécondité.djvu/161

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ne l’aperçut, et la rageuse Euphrasie, qui lui tournait le dos, obéit à un nouvel accès de colère frénétique sanglotant, craignant d’être punie, désirant s’innocenter, criant dans la face de Norine :

« Oui, je t’ai accusée de m’avoir pris mon papier de verre, et c’est vrai que tu me l’as pris, et je n’ai pas menti en disant que tu pouvais t’en frotter le ventre, si tu ne voulais pas qu’il grossisse davantage ! »

Des rires étouffés coururent de nouveau parmi les ouvrières. Puis, un grand silence se fit. Norine enceinte ! Cette révélation brusque saisit tellement Mathieu, l’emplit d’un tel soupçon, qu’il regarda Beauchêne. Mais celui-ci avait reçu gaillardement le coup, à peine un léger tressaillement, l’ennui d’entendre divulguer, dans des circonstances si imprévues, un fait qui devait forcément devenir public, un jour ou l’autre. Il resta beau et solide, il prit un air très digne, pendant qu’Euphrasie continuait à confondre sa sœur affolée.

« Hein ? ose donc dire que tu n’es pas grosse, sale bête ! Il y a beau temps que je le sais, moi, que tu es grosse… Et tu ne vas pas dire le contraire, n’est-ce pas ? Tenez ! voyez-moi ça ! »

D’un geste violent, elle avait saisi la blouse de Norine, la longue blouse de travail qui avait, jusque-là, permis à celle-ci de dissimuler sa taille et, passant la main dans une déchirure, survenue pendant la bataille, elle fendit la serge d’un bout à l’autre ; de sorte que le ventre de Norine apparut, ce ventre dolent de pauvre fille séduite, qu’elle se désespérait à regarder grossir, qu’elle aurait voulu écraser de toute la force de ses poings. Il n’y avait pas à nier, des agrafes de la robe s’étaient rompues, le ventre s’échappait et débordait. Norine, frissonnante, se couvrit la face, éclata en larmes.

« C’est un scandale, un scandale intolérable ! se hâta de reprendre Beauchêne, en haussant encore la voix.