Page:Zola - Fécondité.djvu/169

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bonne âme docile, elle se résignait, la face grise, usée avant l’âge, elle se plaisait pourtant à se consoler en étalant ses malheurs ; et, un moment, elle oublia l’accident de sa fille aînée, qui comblait la mesure, pour énumérer tous les coups qui l’avaient frappée depuis six mois.

— C’est vrai qu’on a fini par nous prendre Victor à l’usine, quand il a eu seize ans. Et ça nous a soulagés, car, lorsqu’on est huit dans une maison, un de plus qui gagne sa vie, c’est quelque chose. Mais il y en a toujours trois qui ne fichent rien, ces deux gamines-là et mon dernier, le petit Alfred, dont je me serais si volontiers passée. Avec ça, il est souvent malade, j’ai failli le perdre, ce qui aurait peut-être mieux valu pour lui et pour nous. Sans compter qu’Irma aussi, la mioche que vous voyez, n’est guère solide, et ça coûte chez le pharmacien… Je ne parle pas de la mort d’Eugène, notre aîné, qui était soldat aux colonies. Vous l’avez connu à l’usine n’est-ce pas ? avant son départ pour le service. L’autre matin, un papier du gouvernement nous a fait savoir que la dysenterie l’avait emporté. Faites donc des enfants, pour qu’on vous les tue, sans qu’on puisse les embrasser encore une fois, et sans qu’on sache seulement où ils sont dans la terre ! »

Un sanglot de Norine vint la rappeler à la situation présente.

— Oui, oui j’y arrive… Ah ! faire des enfants, monsieur, heureusement que c’est une histoire finie pour moi ! J’en ai eu mon compte et c’est le seul grand bonheur que j’attendais, si tôt vieille à mon âge, de n’être plus une femme. Comme ça, mon pauvre Moineaud peut s’amuser tant qu’il veut ; puisque, maintenant, ça ne tire pas à conséquence.

Le vent soufflait, le froid était si intense, que Mathieu sentait ses moustaches se hérisser de petit glaçons. Il voulut couper court.