Page:Zola - Fécondité.djvu/211

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— « Monsieur, monsieur, attendez… »

Et, comme Morange l’écartait brutalement :

— « J’ai des ordres, monsieur, vous ne passerez pas. Laissez-moi prévenir Madame. »

Il ne discuta pas, ne prononça pas un mot, la jeta de côté d’un coup d’épaule, et passa. Mathieu le suivit, pendant que la bonne se ramassait en hâte, pour aller chercher la sage-femme.

Morange tourna dans le couloir, alla jusqu’au fond, jusqu’à la porte, qu’il connaissait. Il l’ouvrit, d’une main égarée, tâtonnante, tremblante. Cette fille qui s’était mise en travers, cette chambre gardée ainsi, l’avaient rendu fou. Et quelle chambre de terreur et d’horreur, quand ils y pénétrèrent ! Elle s’éclairait sur la cour par une étroite fenêtre poussiéreuse qui n’y laissait pénétrer qu’un faible jour de cave. Sous le plafond fumeux, entre les quatre murs dont l’humidité avait décollé des lambeaux du papier lie-de-vin, elle avait pour tout meuble une commode au marbre cassé, un guéridon branlant, deux chaises dépaillées à demi, une couchette en acajou peint, dont les joints gardaient des souillures de vermine. Et là, dans cette bassesse immonde, sur ce grabat encore tiré au milieu de la pièce, Valérie, toute froide, morte depuis six grandes heures, gisait. Sa tête adorable, d’une pâleur de cire, comme si tout le sang de son corps s’en était allé par la criminelle blessure, reposait parmi le flot déroulé de ses cheveux bruns. Sa face ronde et fraîche, d’une amabilité si gaie, si enflammée d’un désir de luxe et de plaisirs, quand elle vivait, avait pris dans la mort une gravité terrible, un regret désespéré de tout ce qu’elle quittait si affreusement. Le drap avait glissé, un peu de ses épaules apparaissait, ces épaules trop grasses déjà, mais d’une beauté dont son mari était fier, quand elle se décolletait. Une main, la droite, très pâle, très fine, comme allongée par le néant où elle tombait, reposait sur le drap, au