Page:Zola - Fécondité.djvu/253

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tous les quatre mordaient à belles dents, avalaient avec un appétit de santé, faisant plaisir à voir. Mais des cris s’élevèrent, c’était M. Gervais qui s’impatientait de n’avoir pas été servi le premier.

« Ah ! oui, c’est vrai, je t’oublie, dit Marianne gaiement. Tu vas avoir ta part… Ouvre le bec, mon mignon. »

D’un geste simple et tranquille, elle dégrafa largement son corsage, elle en sortit le sein blanc, d’une douceur de soie, dont le lait gonflait la pointe rose, telle que le bouton d’où naîtrait la fleur de vie. Et elle fit cela sous le soleil qui la baignait d’or, en face de la vaste campagne qui la voyait, sans la honte ni même l’inquiétude d’être nue, car la terre était nue, les plantes et les arbres étaient nus, ruisselants de sève. Puis, s’étant assise dans l’herbe haute, elle y disparut presque, au milieu de cette éclosion, de cette poussée pullulante des germes d’avril, tandis que l’enfant, sur sa gorge ouverte et libre, tétait à longs flots le lait tiède, de même que ces verdures innombrables buvaient la vie de la terre.

« Quelle faim ! cria-t-elle. Veux-tu bien ne pas me pincer si fort, petit goulu ! »

Mais Mathieu était resté debout dans l’enchantement du premier sourire de l’enfant, dans la gaieté de cette grosse faim, de ce lait qui coulait par le monde, de ces tartines aussi que les autres engloutissaient. Il fut repris de son rêve de création, il laissa échapper l’idée d’avenir dont il était hanté, sans en avoir encore parlé à personne.

« Ah ! bien ! il n’est que temps que je me mette à l’œuvre, que je fonde un royaume, si je désire que ces enfants aient assez de soupe pour grandir ! Et il faut songer aussi à ceux qui viendront demain, qui vont allonger la table, année en année… Veux-tu savoir, veux-tu que je te dise ? »

Elle avait levé les yeux, attentive, souriante.