Page:Zola - Fécondité.djvu/274

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années, apportent là trois ou quatre enfants à la file, comme on jette, au matin, le seau d’ordures à la rue. Et elles s’engouffrèrent l’une après l’autre, et il entendit qu’on les parquait dans des compartiments séparés, tandis que lui, le cœur en larmes, sentant peser sur les êtres la rudesse du destin, attendait toujours.

Quand la Couteau reparut enfin, les bras vides, elle ne prononça pas une parole, Mathieu ne lui posa pas une question. Et ils remontèrent ainsi dans le fiacre, silencieux. Ce ne fut que dix minutes plus tard, lorsque la voiture roulait déjà parmi l’encombrement des rues populeuses, que la Couteau se mit à rire. Puis, comme son compagnon, toujours muet et fermé, ne daignait pas lui demander la cause de cette gaieté brusque, elle finit par dire à voix haute :

« Vous ne savez pas pourquoi je ris ?… Si je vous ai fait un peu attendre, là-bas, c’est que j’ai trouvé, en sortant du bureau, une amie à moi, qui est infirmière dans la maison. Il faut vous dire que ce sont les infirmières qui portent les poupons aux nourrices de province… Eh bien ! mon amie m’a conté qu’elle partait demain pour Rougemont, avec deux autres infirmières, et que, certainement, elles auraient dans le tas le petit que je viens de déposer. »

De nouveau, elle eut le rire sec, dont grimaçait sa face doucereuse.

« Hein est-ce drôle ? la mère qui n’a pas voulu que je l’emmène à Rougemont, et voilà qu’on va pourtant l’y mener ! Il y a, comme ça, des choses qui arrivent quand même. »

Mathieu ne répondit pas. Mais tout un froid de glace lui avait traversé le cœur. C’était vrai, le destin passait, impitoyable. Qu’allait-il devenir, le pauvre être ? À quelle mort prochaine, quelle vie de souffrance, de misère ou de crime, venait-on de le jeter brutalement,