Page:Zola - Fécondité.djvu/312

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est que, si son petit est mort, la petite de Madame ne va guère. »

La meneuse dressa l’oreille.

« Ah ! ça ne marche pas ?

— Non, par exemple ! Ce n’est pas à cause de son lait, elle a du lait à revendre, et du très bon. Seulement, on n’a jamais vu une mauvaise tête pareille, toujours en colère, brutale, insolente faisant claquer les portes, parlant de tout casser, au moindre mot. Et puis, elle boit vraiment d’une sale façon, comme il n’est pas permis à une femme de boire. »

Une gaieté allumait peu à peu les yeux pâles de la Couteau et elle hochait la tête vivement, pour dire qu’elle savait bien qu’elle s’attendait à ces histoires. Dans ce coin de Normandie à Rougemont, toutes les femmes buvaient plus ou moins, les fillettes emportaient à l’école, au fond de leur petit panier, leur petite bouteille d’eau-de-vie. Mais Marie Lebleu était parmi celles qu’on ramassait sous la table, et l’on pouvait dire que, durant sa dernière grossesse, elle n’avait pas dessoûlé. Ça n’était pas un moyen d’avoir des mères solides ni des enfants vigoureux.

« Ma chère, je la connais, elle est impossible. Seulement, ce médecin qui l’a choisie ne m’a pas demandé mon opinion, n’est-ce pas ? D’ailleurs, ça ne me regarde pas, je l’amène, je remmène le poupon, ni vu ni connu, et que les bourgeois se débrouillent. »

Céleste, gagnée par le rire, éclata.

« Non, tu n’as pas idée de la vie infernale qu’elle mène ici ! Elle se bat avec le monde, elle a jeté une carafe à la tête du cocher, elle a cassé un grand vase chez Madame, elle les fait tous trembler dans la crainte continuelle de quelque mauvais coup. Et puis si tu voyais les tours qu’elle leur joue, pour boire ! car on s’est bien aperçu qu’elle buvait, on a mis sous clé les