Page:Zola - Fécondité.djvu/393

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initiant un profane au culte de l’idole. Puis, il l’emmena d’un air de mystère à l’autre bout de l’appartement, dans sa propre chambre, où il n’avait rien dérangé depuis la mort de sa femme, gardant comme des reliques les mêmes meubles de thuya, les mêmes tentures jaunes. Seulement, la cheminée, les tables, les murs étaient couverts de photographies, une prodigieuse collection de tous les portraits qu’il avait pu réunir de la mère, augmentée des portraits sans nombre de la fille, faits de six mois en six mois, depuis l’enfance.

« Venez, venez voir, puisque je vous ai promis de vous montrer le dernier portrait de Reine… Regardez. »

Et il le plaça devant une sorte de petite chapelle, dressée religieusement sur une table, en face de la fenêtre. Les plus beaux portraits s’y trouvaient disposés d’une façon symétrique, encadrant deux d’entre eux, qui faisaient centre : le dernier portrait de la fille et un de la mère, au même âge, toutes deux côte à côte, belles et souriantes, ainsi que deux sœurs jumelles.

Des larmes étaient montées aux yeux de Morange. Il bégaya, dans une extase attendrie :

« Hein ? qu’en dites-vous ? N’est-ce pas ma Valérie si aimée, tant pleurée, que ma petite Reine a fini par me rendre ? Je vous assure que c’est la même femme. Vous voyez bien que je ne rêve pas, que l’une a ressuscité l’autre, avec les mêmes yeux, la même bouche, la même chevelure. Et qu’elle est belle !… Je reste là-devant des heures, mon ami, c’est mon bon Dieu ! »

Mathieu, ému lui-même aux larmes, d’une telle adoration, sentit un froid qui le glaçait en face de ces deux images, de ces deux femmes si semblables, l’une morte, l’autre là-bas, dans un inconnu dont la menace le hantait depuis l’avant-veille. Mais la bonne vint dire que le homard et la mayonnaise étaient servis, et Morange le fit passer gaiement dans la salle à manger, où il voulut que