Page:Zola - Fécondité.djvu/453

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Mais, à ce moment, une longue figure noire entra, une grande fille sèche, maigre, au visage sévère, avec des yeux éteints, une bouche pâle. Où donc avait-il vu cette haute planche à peine équarrie, cette taille plate, sans hanches ni poitrine ? Et, brusquement, il eut la stupeur de la reconnaître, c’était Amy, l’Anglaise qu’il retrouvait toute semblable après dix ans, le même âge, la même robe, la même sérénité de l’étrangère, ignorant jusqu’à la langue du pays où elle venait se débarrasser. Maintenant, il reconnaissait même, sur le lit voisin, la valise bouclée, ainsi que le petit sac. Pour la quatrième fois, elle accouchait dans la maison ; et, cette quatrième fois comme la première, elle y était débarquée un beau matin, sans prévenir, huit jours avant ses couches, puis après être restée au lit trois semaines, après avoir fait disparaître l’enfant, en l’envoyant aux Enfants-Assistés, elle retournait tranquillement dans son pays, elle reprenait le bateau qui l’avait amenée.

Comme elle partait avec ses légers bagages, Norine la retint.

« Vous avez réglé en bas, vous nous quittez ?… Embrassez-moi donc, embrassez mon petit. »

L’Anglaise baisa du bout des lèvres le crâne nu du nourrisson, l’air inquiet de cette chair nouvelle, si tiède, si tendre.

« Et bon voyage, dit encore Norine.

— Yes… bonjour, bonjour. »

Elle s’en alla, ne regarda même pas une dernière fois la pièce où elle avait souffert. Et Mathieu retombait à son ébahissement de jadis, devant cette grande fille si peu taillée pour l’amour, venant se faire périodiquement délivrer en France, entre deux bateaux. Et de quelles œuvres, grand Dieu ! et avec quelle paisible dureté de cœur, sans une émotion au départ, sans une pensée pour l’enfant laissé à la borne !