Page:Zola - Fécondité.djvu/480

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présenta, une dame et un monsieur, qu’ils ne purent reconnaître d’abord. Morange s’était incliné, avait reçu, dans son hébétement. Puis, comme la dame ne quittait pas la main du monsieur, l’amenait ainsi qu’un aveugle, parmi les meubles, afin qu’il ne se cognât pas, Marianne et Mathieu reconnurent les Angelin. Depuis le dernier hiver, ceux-ci avaient vendu leur maison de Janville, pour s’installer à Paris, frappés d’un dernier malheur, la perte presque complète de leur petite fortune, emportée dans le désastre d’une grande maison de banque. La femme, cherchant une occupation, venait d’être nommée, à l’Assistance publique, dame déléguée, une de ces inspectrices qui surveillent les mères secourues, visitent les enfants, rédigent des rapports ; et, comme elle le disait, avec une tristesse souriante, c’était encore une consolation, ce petit monde à gouverner, pour elle que sa stérilité, maintenant certaine, désespérait. Quant au mari, la vue de plus en plus malade, il avait dû cesser tout travail de peinture, il ne vivait plus que dans la désolation morose de sa vie gâtée, tombée au néant.

À petits pas, comme si elle avait conduit un enfant, Mme  Angelin l’amena près de Marianne, l’assit elle-même dans un fauteuil voisin. Il avait gardé sa mine haute de mousquetaire, mais ravagé d’inquiétude, déjà blanchie à quarante-quatre ans. Et quel souvenir, cette dame triste amenant cet infirme, pour ceux qui se rappelaient le jeune ménage de tendresse et de beauté, dans la joie insouciante de son libre amour, courant les sentiers discrets de Janville !

Dès qu’elle tint, dans ses mains tremblantes, les mains de Marianne, Mme  Angelin, elle aussi, ne trouva que le mot désespéré, bégayé tout bas :

« Ah ! l’affreux malheur, un fils unique ! »

Ses yeux s’emplirent de larmes, elle ne voulut pas s’asseoir, sans être allée un instant dans la chambre,