Page:Zola - Fécondité.djvu/500

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« Le mari que tu as été, le mari que tu es encore, penses-tu donc que je le connaisse seulement d’aujourd’hui ? Ah ! pauvre homme, j’ai toujours été au courant de ton abominable existence ! »

Il voulut l’interrompre, lui prendre les mains, inquiet de la crise qu’il sentait venir.

« Tais-toi ! c’est stupide, à quoi bon tout ça ?

— Ne me touche pas, tu me fais horreur !.. Est-ce parce que le docteur est là ? Mais tu me l’as dit toi-même, un médecin est un confesseur, on lui avoue tout, on lui montre tout. D’ailleurs, t’imagines-tu qu’il ne sache pas, lui aussi, ton affreuse conduite ? Tout le monde la sait… Quand je pense que, pendant plus de vingt années, tu as pu croire à mon aveuglement, à ma bêtise ! Et cela, parce que je me taisais ! »

Elle s’était plantée devant lui, petite, noire, rageuse. C’était vrai, elle avait eu vingt ans la force héroïque de se taire. Non seulement elle n’avait jamais, devant le monde, laissé voir des soupçons, des colères, une attitude de femme délaissée, irritée ; mais elle s’était même abstenue de tout reproche, de tout changement d’humeur, dans le secret de l’alcôve. L’orgueil, la dignité la tenaient ainsi debout, méprisante et muette. Puis, que lui importait le père indigne, qu’elle n’aimait pas, dont les caresses trop rudes avaient fini par la blesser, lui répugner ! N’avait-elle pas son fils, le dieu, en qui elle s’était réfugiée, qui était devenu sa vie, sa joie, sa gloire ? Elle serait morte sans daigner se plaindre ; et, pour qu’elle rompît son long silence, il fallait que le destin eût passé lui arrachant l’enfant qui faisait son héroïsme, la laissant vide, désemparée, en proie aux tempêtes. Alors, cette silencieuse éclatait, tout sortait, la débâcle roulait les trahison de vingt années, son mépris, son dégoût, ce qu’elle avait caché et qui l’étouffait depuis si longtemps.