Page:Zola - Fécondité.djvu/540

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démontrer. Puis, en la regardant, elle lui apparut si misérable d’abandon, si douloureuse d’inavouable torture, qu’il consentit sans une parole, d’un geste de pitoyable bienveillance. Et la voiture les emporta.

La grande chambre où Norine et Cécile avaient installé leur commun ménage, se trouvait à Grenelle, au bout de la rue de la Fédération près du Champ-de-Mars. Elles y étaient depuis six ans bientôt, elles y avaient eu, dans les commencements, beaucoup de tracas et de misère. Mais l’enfant qu’elles avaient à nourrir, à sauver les avait sauvées elles-mêmes. La mère qui sommeillait en Norine, s’était éveillée passionnément pour ce petit être, depuis qu’elle lui avait donné le sein, le faisant de sa chair, le veillant, le baisant ; et c’était merveille de voir comment Cécile, dans son désespoir de vierge à jamais stérile, l’avait adopté, le regardait elle aussi comme sien. L’enfant avait deux mères, uniquement occupées de lui. Si Norine, les premiers mois, s’était rebutée souvent de passer ses jours à coller des petites boîtes, si même des idées de fuite lui étaient venues, elle avait toujours été retenue par les deux bras frêles qui se nouaient à son cou. Maintenant, elle était calmée, raisonnable, travailleuse, devenue très adroite à ces légers travaux de cartonnage, que Cécile lui avait enseignés. Et il fallait les voir toutes deux, très unies, très gaies, vivant sans homme comme au couvent, assises les journées entières aux deux côtés de leur petite table, avec le cher enfant entre elles, qui était leur unique raison de vivre, de travailler et d’être heureuses.

Les deux sœurs n’avaient fait qu’une grande amie, Mme  Angelin. Justement, cette dernière, comme dame déléguée de l’Assistance publique, chargée d’un quartier de Grenelle, avait eu Norine parmi les pensionnées qu’elle devait inspecter. Prise de tendresse pour ce gentil ménage des deux mères, ainsi qu’elle les