Page:Zola - Fécondité.djvu/589

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montait du gouffre qu’un profond silence. Elle entendait seulement la pluie cingler les vitres, avec une rage nouvelle. Alors, elle s’enfuit, enfila le couloir, rentra dans son salon. Là, elle se retrouva, elle s’interrogea. Avait-elle donc voulu cette abominable chose ? Non, sa volonté n’y était pour rien. Certainement, sa volonté s’était trouvée comme paralysée, empêchée d’agir. Si la chose avait pu se faire, la chose venait de se faire en dehors d’elle, car sûrement elle était absente. Le mot, la puissance du mot, la rassura. Elle s’y raccrocha, le répéta. C’était bien cela, oui, oui ! elle était absente. Sa vie entière se déroulait sans une faute, sans une action mauvaise. Jamais elle n’avait péché, pas une méchanceté coupable jusqu’à ce jour, ne pesait même à sa conscience. Honnête femme, elle était restée digne, au milieu des débordements de son mari. Mère passionnée, elle montait son calvaire, depuis la mort de son fils. Et ce souvenir de Maurice, seul, la tira un instant de sa sécheresse, l’étrangla d’un commencement de larmes, comme si sa démence était là, l’explication du crime qu’elle cherchait en vain. Un vertige la reprenait, son fils mort, l’autre maître à sa place, toute cette passion pervertie de l’enfant unique, du petit prince dépossédé, toute cette rage empoisonnée, fermentant, la détraquant, l’affolant jusqu’au meurtre. Cette végétation monstrueuse, en elle, avait-elle donc gagné le cerveau ? Un flot de sang suffit pour obscurcir une conscience. Mais elle s’entêtait à rester absente, elle renfonça ses larmes, demeura glacée. Aucun remords ne lui vint. C’était fait, c’était bien ainsi. Il fallait que cela fût. Elle ne l’avait pas poussé, il était tombé tout seul. Si elle ne s’était pas trouvée là, il serait tombé de même. Alors, puisqu’elle n’y était pas, que son cerveau, que son cœur n’y étaient pas, ça ne la regardait pas. Et le mot renaissait toujours, l’absolvait, chantait la victoire : il était mort, il n’aurait pas l’usine.