Page:Zola - Fécondité.djvu/621

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demi-voix, tandis que la mère, Mme  Desvignes, les écoutait en silence, avec un discret sourire, d’une infinie douceur. Et c’était au milieu que Marianne rayonnante allaitait son douzième enfant, la chair blanche, fraîche encore, belle toujours de sa sérénité forte, de sa volonté saine, riant à son Benjamin qui la buvait toute une fois de plus, accueillant sur son autre genou Nicolas, l’avant-dernier, jaloux de se garder cette place. Et ses deux brus ne semblaient être qu’un prolongement d’elle-même, Andrée à sa gauche, qu’Ambroise était venu rejoindre pour taquiner son petit Léonce, Charlotte à sa droite, avec ses deux enfants, Guillaume au sein, Berthe dans ses jupes. La foi en la vie avait germé là en une prospérité, en une richesse sans cesse accrue et débordante, toute la souveraine floraison de la fécondité heureuse.

Séguin, s’adressant à Marianne, plaisanta.

« Alors, ce petit monsieur est le quatorzième que vous nourrissez ? »

Gaiement, elle se mit à rire elle-même.

« Non, il ne faut pas mentir… Ça m’en ferait bien quatorze, mais j’ai eu deux fausses couches. J’en aurai nourri douze, voilà le chiffre exact. »

Beauchêne, qui retrouvait sa carrure, ne put s’empêcher d’intervenir encore.

« Enfin, la douzaine. C’est fou !

— Je suis bien de cet avis, dit à son tour Mathieu, en s’égayant lui aussi. Si ce n’est pas fou, c’est vraiment désordonné… Quand nous sommes seuls, ma femme et moi, nous nous avouons que nous sommes allés un peu loin. D’ailleurs, nous ne pensons pas que tous devraient suivre notre exemple, oh non !… Mais, baste ! par le temps qui court, on peut sans crainte dépasser la mesure. Trop, c’est à peine assez. Si nous avons exagéré l’exemple, notre pauvre pays s’en trouverait bien, le jour où notre