Page:Zola - Fécondité.djvu/627

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ans, sauvée des hommes par sa maternité tardive, l’autre restée fillette à trente ans bientôt, ayant mis sur cet enfant tout l’amour éperdu de l’amoureuse et de l’épouse qu’elle ne pourrait jamais être.

Or, ce dimanche-là, vers dix heures, on frappa fort, à deux reprises. Puis, la porte ouverte, ce fut un garçon trapu, de dix-huit ans environ, qui entra. Il était brun, la face carrée, la mâchoire dure, avec des yeux d’un gris pâle. Et il avait un vieux veston en loques, une casquette de drap noir, roussie par usure.

« Pardon, demanda-t-il, c’est bien ici mesdames Moineaud, qui travaillent dans le cartonnage ? »

Norine, debout, le regardait, prise d’un soudain malaise. Son cœur s’était serré, comme sous une menace. Elle avait certainement vu cette figure quelque part, mais elle ne retrouvait dans sa mémoire qu’un danger ancien, qui revenait, aggravé, pour gâter son existence.

« Oui, c’est ici », répondit-elle.

Sans hâte, le jeune homme faisait des yeux le tour de la pièce. Il devait s’attendre à plus de fortune, car il eut une moue légère. Son regard, ensuite, s’arrêta sur l’enfant, qui, s’amusant à lire, en petit garçon bien sage, avait levé la tête, pour examiner le nouveau venu. Et il acheva son inspection par un bref coup d’œil donné à l’autre femme qui était là, si mince, si frêle, l’air inquiet, elle aussi, devant l’inconnu qu’il apportait si brusquement.

« On m’avait dit au quatrième, la porte à gauche, reprit-il. Tout de même, j’avais peur de me tromper, parce que ce que j’ai à dire, je ne peux pas le dire à tout le monde… C’est une chose pas commode, et bien sûr qu’avant de venir ici, J’ai fait mes réflexions. » Il traînait les mots, il ne quittait plus Norine de son regard pâle, après s’être encore assuré que l’autre femme était trop jeune pour être celle qu’il cherchait. L’angoisse