Page:Zola - Fécondité.djvu/628

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croissante dont il la voyait frémir, l’appel évident qu’elle adressait à sa mémoire, lui firent un instant prolonger l’épreuve. Enfin, il se décida.

« Je suis l’enfant qu’on a mis en nourrice à Rougemont, je me nomme Alexandre-Honoré. »

Et il n’eut pas besoin d’en dire davantage. Norine s’était mise à trembler de tout son pauvre corps, ses mains se joignirent, se tordirent, tandis que sa face bouleversée blêmissait. Grand Dieu ! Beauchêne ! C’était à Beauchêne qu’il ressemblait, et d’une façon si frappante, avec ses yeux de proie, sa rude mâchoire de jouisseur tombé aux basses voracités, qu’elle s’étonnait maintenant de n’avoir pas crié son nom, à première vue. Ses jambes défaillirent, elle dut s’asseoir.

« Alors, c’est vous », dit simplement Alexandre.

Comme elle continuait de grelotter, avouant, sans pouvoir prononcer un mot, tellement le désespoir et la peur la serraient à la gorge, il sentit le besoin de la rassurer un peu, s’il ne voulait pas se fermer du premier coup la porte qu’il venait se faire ouvrir.

« Il ne faut pas vous révolutionner à ce point. Vous n’avez rien à craindre de moi, mon intention n’est pas de vous causer de la peine… Seulement, n’est-ce pas ? quand j’ai fini par savoir où vous étiez, j’ai eu le désir de vous connaître, c’est bien naturel. Et je me suis même dit que vous seriez peut-être contente de me voir… Puis, la vérité est que je suis dans la peine. Voilà bientôt trois ans que j’ai eu la bêtise de revenir à Paris, où je n’arrive guère qu’à crever de faim. Les jours où l’on n’a pas déjeuné, ça donne envie, n’est-ce pas ? de retrouver les parents, qui vous ont lâché à la rue, mais qui, tout de même, n’auraient pas le mauvais cœur de vous refuser une assiette de soupe. »

Des larmes montèrent aux yeux de Norine. C’était le comble, ce retour du misérable abandonné, ce grand gaillard