Page:Zola - Fécondité.djvu/635

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Successivement, il commença l’état de boulanger, il servit les maçons, il fut employé aux Halles, sans jamais se fixer nulle part, décourageant son protecteur, laissant à liquider derrière lui toutes sortes de vilenies. On dut renoncer au sauvetage. Il fallut se borner simplement, lorsqu’il reparaissait, en loques, hâve, affamé, à lui donner de quoi s’acheter une veste et du pain.

Alors, Norine ne vécut plus que dans cette mortelle inquiétude. Durant des semaines, Alexandre semblait mort. Mais elle n’en tressaillait pas moins, au moindre bruit, sur le palier. Toujours elle le sentait là, et, quand il frappait, brusquement, elle reconnaissait son coup de poing, elle se mettait à trembler, comme s’il venait la battre. Il s’était bien aperçu de quelle force d’anéantissement il terrorisait la triste femme, il en abusait pour tirer d’elle tout ce qu’elle cachait au fond de ses tiroirs. Quand elle lui avait promis la pièce de cent sous, l’aumône dont Mathieu la chargeait discrètement, il ne s’en contentait pas, il voulait fouiller lui-même. Parfois, il tombait chez elle, égaré, racontant qu’il irait en prison le soir, s’il n’avait pas dix francs, parlant de tout casser dans la chambre, d’emporter la petite pendule afin de la vendre. Et il fallait que Cécile s’interposât, le jetât dehors, très brave, si mince et si chétive qu’elle fût. Il ne partait que pour revenir quelques jours plus tard, avec des exigences nouvelles, des menaces de crier son histoire dans l’escalier, à moins qu’on ne lui donnât les dix francs. Un jour, comme sa mère pleurait, n’ayant pas un sou, il voulut découdre le matelas, en disant qu’elle y cachait son magot. Le pauvre ménage des deux sœurs devenait un enfer.

Mais le désastre fut qu’Alexandre fit, rue de la Fédération, la connaissance d’Alfred, le plus jeune frère de Norine, le dernier-né des Moineaud. Il avait alors vingt ans, deux ans de plus que son neveu d’occasion, comme il