Page:Zola - Fécondité.djvu/638

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maudite des meurt-de-faim. Chez Euphrasie, l’inévitable destinée était plus tragique encore. La misérable opérée n’avait point eu la chance suprême de mourir. Réduite à rien, depuis qu’elle avait cessé d’être femme, elle s’était peu à peu immobilisée dans un lit, incapable d’un geste, pourtant vivante, écoutant, regardant, comprenant. Et de cette tombe ouverte, elle avait assisté, pendant des mois, à la débâcle de ce qu’il restait de son ménage. Elle était une chose que son mari injuriait, que Mme  Joseph, devenue maîtresse, torturait, la laissant des jours entiers sans eau, lui jetant des croûtes comme à une bête malade, dont on ne change pas même la paille. Encore, personnellement, se résignait-elle, frappée de peur et d’humilité, dans sa déchéance. Le pis était que les trois enfants, les deux jumelles et le garçon, abandonnés, glissaient à l’ordure, tombaient à la rue. Bénard, le mari, s’était mis à boire avec Mme  Joseph, les bras cassés, la tête tournée par le désastre de son foyer. Ensuite, ils se battirent, brisant tout, chassant les enfants qui ne rentraient plus qu’en loques, boueux, les poches pleines de choses volées. Deux fois, Bénard disparut pendant huit jours. La troisième, il ne revint pas. Quand il fallut payer le terme, Mme  Joseph à son tour s’en alla, emmenée par un autre homme. Ce fut la fin. Euphrasie dut se faire porter à la Salpêtrière, pendant que les enfants, sans domicile, étaient poussés au ruisseau. Le garçon ne reparut pas, comme emporté, englouti dans quelque cloaque. L’une des jumelles, ramassée, mourut l’hiver suivant à l’hôpital. L’autre, Toinette, une maigre fille, terrible sous son air chétif, blonde, avec des dents et des yeux de loup, vivait sous les ponts, au fond des carrières, habitait les bouges prostitués à dix ans, déjà vieille à seize dans la rapine et le vol. C’était l’aventure d’Alfred aggravée, la fille abandonnée moralement, empoisonnée par la rue, guettée par le crime. Et l’oncle et la nièce, s’étant rencontrés,