Page:Zola - Fécondité.djvu/670

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ville de vérité et de justice. Puis, en dehors de ce grand rêve des poètes, ces voyants, Nicolas disait gaiement ses raisons, en garçon pratique, dans son enthousiasme. Il ne voulait pas être un parasite, il s’en allait à la conquête d’une autre terre où il ferait pousser son pain, puisque la patrie, devenue trop étroite, n’avait plus de champ pour lui. D’ailleurs, cette patrie, il l’emportait vivante, c’était elle qu’il voulait agrandir au loin, d’un accroissement illimité de sa richesse et de sa force. L’antique Afrique mystérieuse, aujourd’hui découverte, trouée de part en part, l’attirait. Il irait d’abord au Sénégal, puis il pousserait sans doute jusqu’au Soudan, au cœur même des terres vierges, où il rêvait une France nouvelle, cet immense empire colonial qui rajeunirait la race vieillie, en lui donnant sa part de la terre. C’était là qu’il ambitionnait, par de vastes défrichements, de se tailler son royaume, de fonder avec Lisbeth une autre dynastie des Froment, un Chantebled décuplé sous l’ardent soleil, peuplé du peuple de ses enfants. Et il en parlait avec un si joyeux courage, que Mathieu et Marianne finirent par sourire, au milieu de leurs larmes, malgré leur pauvre cœur arraché.

« Va, mon enfant, nous ne pouvons te retenir. Va où la vie t’appelle, où tu la vivras avec le plus de santé, de joie et de force. Tout ce qui poussera de toi, là-bas, ce sera encore de la santé, de la joie et de la force qui auront grandi de nous et dont nous serons glorieux… Tu as raison, il ne faut pas pleurer, il faut que ton départ soit une fête, car la famille ne se sépare pas, elle s’étend, elle envahit et conquiert le monde. »

Cependant, après le mariage de Nicolas et de Lisbeth, le jour des adieux, il y eut à Chantebled une heure de poignante émotion. La famille s’était réunie en un dernier repas, et, lorsque le jeune ménage aventureux dut s’arracher à la vieille terre maternelle, on sanglota, bien qu’on se fût promis d’être brave. Il partait léger de