Page:Zola - Fécondité.djvu/724

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Mais, comme Benjamin survenait, le dernier, derrière les trois sœurs, les rires redoublèrent.

« Et Benjamin qu’on oubliait ! dit Mathieu.

— Viens, mon petit, viens m’embrasser à ton tour, murmura tendrement Marianne. Parce que tu es le dernier de la couvée, ces grands-là plaisantent… Si je te gâte, ça ne regarde que nous deux, n’est-ce pas ? Dis-leur que tu avais passé la matinée avec moi, et que, si tu es allé te promener, c’est moi qui l’ai voulu. »

Benjamin souriait, l’air doux, un peu triste.

« Mais, maman, j’étais en bas, je les ai tous vus monter, les uns après les autres… J’ai attendu qu’on s’embrassât, pour monter à mon tour. »

Il avait déjà vingt et un ans, il était d’une beauté délicate, un visage clair avec de grands yeux bruns, de longs cheveux bouclés, une barbe légère et frisante. Bien qu’il n’eût jamais été malade, la mère le disait faible, le soignait beaucoup. Tous, d’ailleurs, l’adoraient, pour sa grâce, pour son charme tendre. Il avait grandi dans une sorte de songe, plein d’un désir qu’il ne pouvait formuler, en continuelle quête de l’inconnu, de l’autre chose, celle qu’il n’avait pas. Et, comme les parents lui voyaient le dégoût de toute profession, comme l’idée du mariage elle-même semblait lui être importune, ils ne s’en fâchaient pas, ils complotaient au contraire le secret projet de le garder pour eux, ce dernier-né, ce cadeau tardif de la vie, si bon et si beau. N’avaient-ils pas donné tous les autres ? Ne leur pardonnerait-on pas l’égoïsme d’amour, d’en réserver un pour eux, entièrement à eux, qui ne se marierait pas, qui ne ferait rien, qui ne serait venu au monde que dans le but délicieux d’être aimé d’eux et de les aimer ? C’était le rêve de leur vieillesse, la part qu’ils auraient voulu, en récompense de leur long enfantement, se tailler eux-mêmes dans la vie dévoratrice, qui donne tout et reprend tout.