Page:Zola - Fécondité.djvu/99

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et, quand le travail presse, il peut prendre un aide. Nous autres, nous avions trente sous ce matin, et pas de moulin, et pas le moindre champ… Je le trouve superbe, moi, son moulin, je le lui envie, chaque fois que je passe sur ce pont. Nous vois-tu le meunier et la meunière, nous serions très riches et très heureux !

Cela les fit rire. Un instant encore, ils restèrent assis, regardant la masse sombre du Moulin, au bord de l’Yeuse. La petite rivière était d’une paix infinie, entre les saules et les peupliers des deux rives, à peine murmurante, parmi les plantes d’eau qui en moiraient le cristal. Puis, c’était au milieu d’un bouquet de chênes, le vaste hangar qui abritait la roue, les bâtiments voisins, enguirlandés de lierres, de chèvrefeuilles, de vignes-vierges, tout un coin de décor romantique. Et, la nuit surtout, lorsque le Moulin dormait, sans une lumière, rien n’était d’un charme plus rêveur ni plus doux.

— Tiens ! fit remarquer Mathieu, en baissant la voix, il y a quelqu’un, là, sous les saules, au bord de l’eau. J’ai entendu un petit bruit.

— Oh ! je sais, dit Marianne, avec une gaieté tendre. Ça doit être le jeune ménage, qui s’est installé, là-bas, dans la petite maison, voici quinze jours à peine. Tu sais bien, madame Angelin, cette amie de pension de Constance.

Ce ménage Angelin, devenu leur voisin de campagne, les intéressait : elle, de même âge que Marianne, grande, brune, de beaux cheveux et de beaux yeux, ensoleillée de continuelle joie, adorant le plaisir ; lui, de même âge que Mathieu, bel homme, amoureux fou, d’une gaieté brave de mousquetaire, les moustaches au vent. Ils s’étaient mariés dans un coup de passion, riches à eux deux d’une dizaine de mille francs de rente, que lui, peintre aimable d’éventails, aurait pu doubler, sans la folie de paresse tendre où le jetait l’amour de sa femme.