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LES ROUGON-MACQUART.

mines de Montsou, depuis la création ; et cela datait de loin, il y avait déjà cent six ans. Son aïeul, Guillaume Maheu, un gamin de quinze ans alors, avait trouvé le charbon gras à Réquillart, la première fosse de la Compagnie, une vieille fosse aujourd’hui abandonnée, là-bas, près de la sucrerie Fauvelle. Tout le pays le savait, à preuve que la veine découverte s’appelait la veine Guillaume, du prénom de son grand-père. Il ne l’avait pas connu, un gros à ce qu’on racontait, très fort, mort de vieillesse à soixante ans. Puis, son père, Nicolas Maheu dit le Rouge, âgé de quarante ans à peine, était resté dans le Voreux, que l’on fonçait en ce temps-là : un éboulement, un aplatissement complet, le sang bu et les os avalés par les roches. Deux de ses oncles et ses trois frères, plus tard, y avaient aussi laissé leur peau. Lui, Vincent Maheu, qui en était sorti à peu près entier, les jambes mal d’aplomb seulement, passait pour un malin. Quoi faire, d’ailleurs ? Il fallait travailler. On faisait ça de père en fils, comme on aurait fait autre chose. Son fils, Toussaint Maheu, y crevait maintenant, et ses petits-fils, et tout son monde, qui logeait en face, dans le coron. Cent six ans d’abattage, les mioches après les vieux, pour le même patron : hein ? beaucoup de bourgeois n’auraient pas su dire si bien leur histoire !

— Encore, lorsqu’on mange ! murmura de nouveau Étienne.

— C’est ce que je dis, tant qu’on a du pain à manger, on peut vivre.

Bonnemort se tut, les yeux tournés vers le coron, où des lueurs s’allumaient une à une. Quatre heures sonnaient au clocher de Montsou, le froid devenait plus vif.

— Et elle est riche, votre Compagnie ? reprit Étienne.

Le vieux haussa les épaules, puis les laissa retomber, comme accablé sous un écroulement d’écus.

— Ah ! oui, ah ! oui… Pas aussi riche peut-être que sa