Page:Zola - Germinal.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
LES ROUGON-MACQUART.

De crainte d’être volée par sa mère, elle cachait là le gain des heures qu’elle faisait en plus, à la fosse.

— J’en ai cinq, tu vois, dit-elle. Je veux bien t’en donner trois… Seulement, il faut me jurer que tu vas décider ta mère à nous marier. En voilà assez, de cette vie en l’air ! Avec ça, maman me reproche toutes les bouchées que je mange… Jure, jure d’abord.

Elle parlait de sa voix molle de grande fille maladive, sans passion, simplement lasse de son existence. Lui, jura, cria que c’était une chose promise, sacrée ; puis, lorsqu’il tint les trois pièces, il la baisa, la chatouilla, la fit rire, et il aurait poussé les choses jusqu’au bout, dans ce coin du terri qui était la chambre d’hiver de leur vieux ménage, si elle n’avait répété que non, que ça ne lui causerait aucun plaisir. Elle retourna au coron toute seule, pendant qu’il coupait à travers champs, pour rejoindre son camarade.

Étienne, machinalement, les avait suivis de loin, sans comprendre, croyant à un simple rendez-vous. Les filles étaient précoces, aux fosses ; et il se rappelait les ouvrières de Lille, qu’il attendait derrière les fabriques, ces bandes de filles gâtées dès quatorze ans, dans les abandons de la misère. Mais une autre rencontre le surprit davantage. Il s’arrêta.

C’était, en bas du terri, dans un creux où de grosses pierres avaient glissé, le petit Jeanlin qui rabrouait violemment Lydie et Bébert, assis l’une à sa droite, l’autre à sa gauche.

— Hein ? vous dites ?… Je vas ajouter une gifle pour chacun, moi, si vous réclamez… Qui est-ce qui a eu l’idée, voyons !

En effet, Jeanlin avait eu une idée. Après s’être, pendant une heure, le long du canal, roulé dans les prés en cueillant des pissenlits avec les deux autres, il venait de songer, devant le tas de salade, qu’on ne mangerait