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GERMINAL.

la Maheude. Emmène-le, il sera plus malin que toi pour se débrouiller, si l’on ne vous comptait pas vos heures.

Maheu approuva de la tête.

— Et cause donc à ces messieurs de l’affaire de ton père. Le médecin s’entend avec la Direction… N’est-ce pas ? vieux, que le médecin se trompe, que vous pouvez encore travailler ?

Depuis dix jours, le père Bonnemort, les pattes engourdies comme il disait, restait cloué sur une chaise. Elle dut répéter sa question, et il grogna :

— Bien sûr que je travaillerai. On n’est pas fini parce qu’on a mal aux jambes. Tout ça, c’est des histoires qu’ils inventent pour ne pas me donner la pension de cent quatre-vingts francs.

La Maheude songeait aux quarante sous du vieux, qu’il ne lui rapporterait peut-être jamais plus, et elle eut un cri d’angoisse.

— Mon Dieu ! nous serons bientôt tous morts, si ça continue.

— Quand on est mort, dit Maheu, on n’a plus faim.

Il ajouta des clous à ses souliers et se décida à partir. Le coron des Deux-Cent-Quarante ne devait être payé que vers quatre heures. Aussi les hommes ne se pressaient-il pas, s’attardant, filant un à un, poursuivis par les femmes qui les suppliaient de revenir tout de suite. Beaucoup leur donnaient des commissions, pour les empêcher de s’oublier dans les estaminets.

Chez Rasseneur, Étienne était venu aux nouvelles. Des bruits inquiétants couraient, on disait la Compagnie de plus en plus mécontente des boisages. Elle accablait les ouvriers d’amendes, un conflit paraissait fatal. Du reste, ce n’était là que la querelle avouée, il y avait dessous toute une complication, des causes secrètes et graves.

Justement, lorsque Étienne arriva, un camarade qui buvait une chope, au retour de Montsou, racontait qu’une