Page:Zola - Germinal.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
LES ROUGON-MACQUART.

tretien, en lui demandant des nouvelles de ses filles. Lucie était à Marchiennes, où elle chantait avec une amie ; Jeanne peignait la tête d’un vieux mendiant. Mais il disait ces choses d’un air distrait, il ne quittait pas du regard le directeur, absorbé dans la lecture de ses dépêches, oublieux de ses invités. Derrière ces minces feuilles, il sentait Paris, les ordres des régisseurs, qui décideraient de la grève. Aussi ne put-il s’empêcher de céder encore à sa préoccupation.

— Enfin, qu’allez-vous faire ? demanda-t-il brusquement.

M. Hennebeau tressaillit, puis s’en tira par une phrase vague.

— Nous allons voir.

— Sans doute, vous avez les reins solides, vous pouvez attendre, se mit à penser tout haut Deneulin. Mais moi, j’y resterai, si la grève gagne Vandame. J’ai eu beau réinstaller Jean-Bart à neuf, je ne puis m’en tirer, avec cette fosse unique, que par une production incessante… Ah ! je ne me vois pas à la noce, je vous assure !

Cette confession involontaire parut frapper M. Hennebeau. Il écoutait, et un plan germait en lui : dans le cas où la grève tournerait mal, pourquoi ne pas l’utiliser, laisser les choses se gâter jusqu’à la ruine du voisin, puis lui racheter sa concession à bas prix ? C’était le moyen le plus sûr de regagner les bonnes grâces des régisseurs, qui, depuis des années, rêvaient de posséder Vandame.

— Si Jean-Bart vous gêne tant que ça, dit-il en riant, pourquoi ne nous le cédez-vous pas ?

Mais Deneulin regrettait déjà ses plaintes. Il cria :

— Jamais de la vie !

On s’égaya de sa violence, on oublia enfin la grève, au moment où le dessert paraissait. Une charlotte de pommes meringuée fut comblée d’éloges. Ensuite, les