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LES ROUGON-MACQUART.

Un instant, il l’aurait giflé ; et, pour résister à la tentation, il se lança dans la salle à grands pas, il soulagea sa fureur sur les bancs, au travers desquels il s’ouvrait un passage.

— Fermez la porte au moins, fit remarquer Souvarine. On n’a pas besoin d’entendre.

Après être allé lui-même la fermer, il s’assit tranquillement sur une des chaises du bureau. Il avait roulé une cigarette, il regardait les deux autres de son œil doux et fin, les lèvres pincées d’un mince sourire.

— Quand tu te fâcheras, ça n’avance à rien, reprit judicieusement Rasseneur. Moi, j’ai cru d’abord que tu avais du bon sens. C’était très bien de recommander le calme aux camarades, de les forcer à ne pas remuer de chez eux, d’user de ton pouvoir enfin pour le maintien de l’ordre. Et, maintenant, voilà que tu vas les jeter dans le gâchis !

À chacune de ses courses au milieu des bancs, Étienne revenait vers le cabaretier, le saisissait par les épaules, le secouait, en lui criant ses réponses dans la face.

— Mais, tonnerre de Dieu ! je veux bien être calme. Oui, je leur ai imposé une discipline ! oui, je leur conseille encore de ne pas bouger ! Seulement, il ne faut pas qu’on se foute de nous, à la fin !… Tu es heureux de rester froid. Moi, il y a des heures où je sens ma tête qui déménage.

C’était, de son côté, une confession. Il se raillait de ses illusions de néophyte, de son rêve religieux d’une cité où la justice allait régner bientôt, entre les hommes devenus frères. Un bon moyen vraiment, se croiser les bras et attendre, si l’on voulait voir les hommes se manger entre eux jusqu’à la fin du monde, comme des loups. Non ! il fallait s’en mêler, autrement l’injustice serait éternelle, toujours les riches suceraient le sang des pauvres. Aussi ne se pardonnait-il pas la bêtise