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GERMINAL.

après toute une journée de vagabondage. On ne pouvait plus la dompter, elle disparaissait continuellement.

Cependant, la Maheude restait debout, sans se décider à partir. Ce grand feu le pénétrait d’un bien-être douloureux, la pensée qu’on mangeait là lui creusait l’estomac davantage. Évidemment, ils avaient renvoyé la vieille et enfermé la petite, pour bâfrer leur lapin. Ah ! on avait beau dire, quand une femme se conduisait mal, ça portait bonheur à sa maison !

— Bonsoir, dit-elle tout d’un coup.

Dehors, la nuit était tombée, et la lune, derrière des nuages, éclairait la terre d’une clarté louche. Au lieu de retraverser les jardins, la Maheude fit le tour, désolée, n’osant rentrer chez elle. Mais, le long des façades mortes, toutes les portes sentaient la famine et sonnaient le creux. À quoi bon frapper ? c’était misère et compagnie. Depuis des semaines qu’on ne mangeait plus, l’odeur de l’oignon elle-même était partie, cette odeur forte qui annonçait le coron de loin, dans la campagne ; maintenant, il n’avait que l’odeur des vieux caveaux, l’humidité des trous où rien ne vit. Les bruits vagues se mouraient, des larmes étouffées, des jurons perdus ; et, dans le silence qui s’alourdissait peu à peu, on entendait venir le sommeil de la faim, l’écrasement des corps jetés en travers des lits, sous les cauchemars des ventres vides.

Comme elle passait devant l’église, elle vit une ombre filer rapidement. Un espoir la fit se hâter, car elle avait reconnu le curé de Montsou, l’abbé Joire, qui disait la messe le dimanche à la chapelle du coron : sans doute il sortait de la sacristie, où le règlement de quelque affaire l’avait appelé. Le dos rond, il courait de son air d’homme gras et doux, désireux de vivre en paix avec tout le monde. S’il avait fait sa course à la nuit, ce devait être pour ne pas se compromettre au milieu des mineurs. On disait du reste qu’il venait d’obtenir de l’avan-