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LES ROUGON-MACQUART.

dans le crâne qu’un chef ne gagnât pas des millions sur ses ouvriers.

Alors, Deneulin insista. Il expliquait sa lutte contre Montsou toujours aux aguets, prêt à le dévorer, s’il avait un soir la maladresse de se casser les reins. C’était une concurrence sauvage, qui le forçait aux économies, d’autant plus que la grande profondeur de Jean-Bart augmentait chez lui le prix de l’extraction, condition défavorable à peine compensée par la forte épaisseur des couches de houille. Jamais il n’aurait haussé les salaires, à la suite de la dernière grève, sans la nécessité où il s’était trouvé d’imiter Montsou, de peur de voir ses hommes le lâcher. Et il les menaçait du lendemain, quel beau résultat pour eux, s’ils l’obligeaient à vendre, de passer sous le joug terrible de la Régie ! Lui, ne trônait pas au loin, dans un tabernacle ignoré ; il n’était pas un de ces actionnaires qui paient des gérants pour tondre le mineur, et que celui-ci n’a jamais vus ; il était un patron, il risquait autre chose que son argent, il risquait son intelligence, sa santé, sa vie. L’arrêt du travail allait être la mort, tout bonnement, car il n’avait pas de stock, et il fallait pourtant qu’il expédiât les commandes. D’autre part, le capital de son outillage ne pouvait dormir. Comment tiendrait-il ses engagements ? qui paierait le taux des sommes que lui avaient confiées ses amis ? Ce serait la faillite.

— Et voilà, mes braves ! dit-il en terminant. Je voudrais vous convaincre… On ne demande pas à un homme de s’égorger lui-même, n’est-ce pas ? et que je vous donne vos cinq centimes ou que je vous laisse vous mettre en grève, c’est comme si je me coupais le cou.

Il se tut. Des grognements coururent. Une partie des mineurs semblait hésiter. Plusieurs retournèrent près du puits.

— Au moins, dit un porion, que tout le monde soit libre… Quels sont ceux qui veulent travailler ?