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GERMINAL.

Catherine s’était avancée une des premières. Mais Chaval, furieux, la repoussa, en criant :

— Nous sommes tous d’accord, il n’y a que les jeans-foutre qui lâchent les camarades !

Dès lors, la conciliation parut impossible. Les cris recommençaient, des bousculades chassaient les hommes du puits, au risque de les écraser contre les murs. Un instant, le directeur, désespéré, essaya de lutter seul, de réduire violemment cette foule ; mais c’était une folie inutile, il dut se retirer. Et il resta quelques minutes, au fond du bureau du receveur, essoufflé sur une chaise, si éperdu de son impuissance, que pas une idée ne lui venait. Enfin, il se calma, il dit à un surveillant d’aller lui chercher Chaval ; puis, quand ce dernier eut consenti à l’entretien, il congédia le monde du geste.

— Laissez-nous.

L’idée de Deneulin était de voir ce que ce gaillard avait dans le ventre. Dès les premiers mots, il le sentit vaniteux, dévoré de passion jalouse. Alors, il le prit par la flatterie, affecta de s’étonner qu’un ouvrier de son mérite compromît de la sorte son avenir. À l’entendre, il avait depuis longtemps jeté les yeux sur lui pour un avancement rapide ; et il termina en offrant carrément de le nommer porion, plus tard. Chaval l’écoutait, silencieux, les poings d’abord serrés, puis peu à peu détendus. Tout un travail s’opérait au fond de son crâne : s’il s’entêtait dans la grève, il n’y serait jamais que le lieutenant d’Étienne, tandis qu’une autre ambition s’ouvrait, celle de passer parmi les chefs. Une chaleur d’orgueil lui montait à la face et le grisait. Du reste, la bande de grévistes, qu’il attendait depuis le matin, ne viendrait plus à cette heure ; quelque obstacle avait dû l’arrêter, des gendarmes peut-être : il n’était que temps de se soumettre. Mais il n’en refusait pas moins de la tête, il faisait l’homme incorruptible, à grandes tapes indignées