Page:Zola - Germinal.djvu/354

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
354
LES ROUGON-MACQUART.

les montants, pelées et roidies au point de ne pouvoir fermer les doigts ; et elle croyait tomber en arrière, les épaules arrachées, les cuisses démanchées, dans leur continuel effort. C’était surtout du peu de pente des échelles qu’elle souffrait, de cette plantation presque droite, qui l’obligeait de se hisser à la force des poignets, le ventre collé contre le bois. L’essoufflement des haleines à présent couvrait le roulement des pas, un râle énorme, décuplé par la cloison du goyot, s’élevait du fond, expirait au jour. Il y eut un gémissement, des mots coururent, un galibot venait de s’ouvrir le crâne à l’arête d’un palier.

Et Catherine montait. On dépassa le niveau. La pluie avait cessé, un brouillard alourdissait l’air de cave, empoisonné d’une odeur de vieux fers et de bois humide. Machinalement, elle s’obstinait tout bas à compter : quatre-vingt une, quatre-vingt-deux, quatre-vingt-trois ; encore dix-neuf. Ces chiffres, répétés, la soutenaient seuls de leur balancement rythmique. Elle n’avait plus conscience de ses mouvements. Quand elle levait les yeux, les lampes tournoyaient en spirale. Son sang coulait, elle se sentait mourir, le moindre souffle allait la précipiter. Le pis était que ceux d’en bas poussaient maintenant, et que la colonne entière se ruait, cédant à la colère croissante de sa fatigue, au besoin furieux de revoir le soleil. Des camarades, les premiers, étaient sortis ; il n’y avait donc pas d’échelles cassées ; mais l’idée qu’on pouvait en casser encore, pour empêcher les derniers de sortir, lorsque d’autres respiraient déjà là-haut, achevait de les rendre fous. Et, comme un nouvel arrêt se produisait, des jurons éclatèrent, tous continuèrent à monter, se bousculant, passant sur les corps, à qui arriverait quand même.

Alors, Catherine tomba. Elle avait crié le nom de Chaval, dans un appel désespéré. Il n’entendit pas, il se