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LES ROUGON-MACQUART.

vu. Les deux vieux, Bonnemort et Mouque, très graves, hochaient la tête. Seul, Jeanlin rigolait, poussait du coude Bébert, forçait Lydie à lever le nez. Mais les femmes revenaient déjà, tournant sur elles-mêmes, passant sous les fenêtres de la Direction. Et, derrière les persiennes, ces dames et ces demoiselles allongeaient le cou. Elles n’avaient pu apercevoir la scène, cachée par le mur, elles distinguaient mal, dans la nuit devenue noire.

— Qu’ont-elles donc au bout de ce bâton ? demanda Cécile, qui s’était enhardie jusqu’à regarder.

Lucie et Jeanne déclarèrent que ce devait être une peau de lapin.

— Non, non, murmura madame Hennebeau, ils auront pillé la charcuterie, on dirait un débris de porc.

À ce moment, elle tressaillit et elle se tut. Madame Grégoire lui avait donné un coup de genou. Toutes deux restèrent béantes. Ces demoiselles, très pâles, ne questionnaient plus, suivaient de leurs grands yeux cette vision rouge, au fond des ténèbres.

Étienne de nouveau brandit la hache. Mais le malaise ne se dissipait pas, ce cadavre à présent barrait la route et protégeait la boutique. Beaucoup avaient reculé. C’était comme un assouvissement qui les apaisait tous. Maheu demeurait sombre, lorsqu’il entendit une voix lui dire à l’oreille de se sauver. Il se retourna, il reconnut Catherine, toujours dans son vieux paletot d’homme, noire, haletante. D’un geste, il la repoussa. Il ne voulait pas l’écouter, il menaçait de la battre. Alors, elle eut un geste de désespoir, elle hésita, puis courut vers Étienne.

— Sauve-toi, sauve-toi, voilà les gendarmes !

Lui aussi la chassait, l’injuriait, en sentant remonter à ses joues le sang des gifles qu’il avait reçues. Mais elle ne se rebutait pas, elle l’obligeait à jeter la hache, elle