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LES ROUGON-MACQUART.

incrédules, il les distribuerait aux humbles de la terre, pour le triomphe de sa gloire. Les dévotes en tremblaient, le notaire déclarait qu’il y avait là du pire socialisme, tous voyaient le curé à la tête d’une bande, brandissant une croix, démolissant la société bourgeoise de 89, à grands coups.

M. Hennebeau, averti, se contenta de dire, avec un haussement d’épaules :

— S’il nous ennuie trop, l’évêque nous en débarrassera.

Et, pendant que la panique soufflait ainsi d’un bout à l’autre de la plaine, Étienne habitait sous terre, au fond de Réquillart, le terrier à Jeanlin. C’était là qu’il se cachait, personne ne le croyait si proche, l’audace tranquille de ce refuge, dans la mine même, dans cette voie abandonnée du vieux puits, avait déjoué les recherches. En haut, les pruneliers et les aubépines, poussés parmi les charpentes abattues du beffroi, bouchaient le trou ; on ne s’y risquait plus, il fallait connaître la manœuvre, se prendre aux racines du sorbier, se laisser tomber sans peur, pour atteindre les échelons solides encore ; et d’autres obstacles le protégeaient, la chaleur suffocante du goyot, cent vingt mètres d’une descente dangereuse, puis le pénible glissement à plat ventre, d’un quart de lieue, entre les parois resserrées de la galerie, avant de découvrir la caverne scélérate, emplie de rapines. Il y vivait au milieu de l’abondance, il y avait trouvé du genièvre, le reste de la morue sèche, des provisions de toutes sortes. Le grand lit de foin était excellent, on ne sentait pas un courant d’air, dans cette température égale, d’une tiédeur de bain. Seule, la lumière menaçait de manquer. Jeanlin qui s’était fait son pourvoyeur, avec une prudence et une discrétion de sauvage ravi de se moquer des gendarmes, lui apportait jusqu’à de la pommade, mais ne pouvait arriver à mettre la main sur un paquet de chandelles.