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LES ROUGON-MACQUART.

la porte s’était brutalement ouverte, et Chaval avait paru, poussant devant lui Catherine. Après s’être grisé de bière et de fanfaronnades dans tous les cabarets de Montsou, l’idée lui était venue d’aller à l’Avantage montrer aux anciens amis qu’il n’avait pas peur. Il entra, en disant à sa maîtresse :

— Nom de Dieu ! je te dis que tu vas boire une chope là-dedans, je casse la gueule au premier qui me regarde de travers !

Catherine, à la vue d’Étienne, saisie, restait toute blanche. Quand il l’eut aperçu à son tour, Chaval ricana d’un air mauvais.

— Madame Rasseneur, deux chopes ! Nous arrosons la reprise du travail.

Sans une parole, elle versa, en femme qui ne refusait sa bière à personne. Un silence s’était fait, ni le cabaretier, ni les deux autres n’avaient bougé de leur place.

— J’en connais qui ont dit que j’étais un mouchard, reprit Chaval arrogant, et j’attends que ceux-là me le répètent un peu en face, pour qu’on s’explique à la fin.

Personne ne répondit, les hommes tournaient la tête, regardaient vaguement les murs.

— Il y a les feignants, et il y a les pas feignants, continua-t-il plus haut. Moi je n’ai rien à cacher, j’ai quitté la sale baraque à Deneulin, je descends demain au Voreux avec douze Belges, qu’on m’a donnés à conduire, parce qu’on m’estime. Et, si ça contrarie quelqu’un, il peut le dire, nous en causerons.

Puis, comme le même silence dédaigneux accueillait ses provocations, il s’emporta contre Catherine.

— Veux-tu boire, nom de Dieu !… Trinque avec moi à la crevaison de tous les salauds qui refusent de travailler !

Elle trinqua, mais d’une main si tremblante, qu’on entendit le tintement léger des deux verres. Lui, maintenant, avait tiré de sa poche une poignée de monnaie