Page:Zola - Germinal.djvu/480

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
480
LES ROUGON-MACQUART.

dis que Bouteloup, à l’écart, ennuyé d’avoir suivi le camarade, le regardait faire tranquillement.

— Allez-y, pour voir, répétait Maheu, allez-y un peu, si vous êtes de bons bougres !

Et il ouvrait sa veste, et il écartait sa chemise, étalant sa poitrine nue, sa chair velue et tatouée de charbon. Il se poussait sur les pointes, il les obligeait à reculer, terrible d’insolence et de bravoure. Une d’elles l’avait piqué au sein, il en était comme fou et s’efforçait qu’elle entrât davantage, pour entendre craquer ses côtes.

— Lâches, vous n’osez pas… Il y en a dix mille derrière nous. Oui, vous pouvez nous tuer, il y en aura dix mille à tuer encore.

La position des soldats devenait critique, car ils avaient reçu l’ordre sévère de ne se servir de leurs armes qu’à la dernière extrémité. Et comment empêcher ces enragés-là de s’embrocher eux-mêmes ? D’autre part, l’espace diminuait, ils se trouvaient maintenant acculés contre le mur, dans l’impossibilité de reculer davantage. Leur petite troupe, une poignée d’hommes, en face de la marée montante des mineurs, tenait bon cependant, exécutait avec sang-froid les ordres brefs donnés par le capitaine. Celui-ci, les yeux clairs, les lèvres nerveusement amincies, n’avait qu’une peur, celle de les voir s’emporter sous les injures. Déjà, un jeune sergent, un grand maigre dont les quatre poils de moustaches se hérissaient, battait des paupières d’une façon inquiétante. Près de lui, un vieux chevronné, au cuir tanné par vingt campagnes, avait blémi, quand il avait vu sa bayonnette tordue comme une paille. Un autre, une recrue sans doute, sentant encore le labour, devenait très rouge, chaque fois qu’il s’entendait traiter de crapule et de canaille. Et les violences ne cessaient pas, les poings tendus, les mots abominables, des pelletées d’accusations et de menaces qui les souffletaient au