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LES ROUGON-MACQUART.

avec un grand bruit de vaisselle. Et madame Lorilleux, jusque-là très convenable, très dame, laissa échapper un : Sacré salaud ! parce que l’un des garçons, en enlevant un plat, lui avait fait couler quelque chose de mouillé dans le cou. Pour sûr, sa robe de soie était tachée. M. Madinier dut lui regarder le dos, mais il n’y avait rien, il le jurait. Maintenant, au milieu de la nappe, s’étalaient des œufs à la neige dans un saladier, flanqués de deux assiettes de fromage et de deux assiettes de fruits. Les œufs à la neige, les blancs trop cuits nageant sur la crème jaune, causèrent un recueillement ; on ne les attendait pas, on trouva ça distingué. Mes-Bottes mangeait toujours. Il avait redemandé un pain. Il acheva les deux fromages ; et, comme il restait de la crème, il se fit passer le saladier, au fond duquel il tailla de larges tranches, comme pour une soupe.

— Monsieur est vraiment bien remarquable, dit M. Madinier retombé dans son admiration.

Alors, les hommes se levèrent pour prendre leurs pipes. Ils restèrent un instant derrière Mes-Bottes, à lui donner des tapes sur les épaules, en lui demandant si ça allait mieux. Bibi-la-Grillade le souleva avec la chaise ; mais, tonnerre de Dieu ! l’animal avait doublé de poids. Coupeau, par blague, racontait que le camarade commençait seulement à se mettre en train, qu’il allait à présent manger comme ça du pain toute la nuit. Les garçons, épouvantés, disparurent. Boche, descendu depuis un instant, remonta en racontant la bonne tête du marchand de vin, en bas ; il était tout pâle dans son comptoir, la bourgeoise consternée venait d’envoyer voir si les boulangers restaient ouverts, jusqu’au chat de la maison qui avait l’air ruiné. Vrai, c’était trop cocasse, ça valait l’argent du dîner, il ne