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LES ROUGON-MACQUART.

soir-là, un ragoût de mouton avec des hauts de côtelettes. Tout marcha encore bien, pendant qu’elle pelurait ses pommes de terre. Les hauts de côtelettes revenaient dans un poêlon, quand les sueurs et les tranchées reparurent. Elle tourna son roux, en piétinant devant le fourneau, aveuglée par de grosses larmes. Si elle accouchait, n’est-ce pas ? ce n’était point une raison pour laisser Coupeau sans manger. Enfin le ragoût mijota sur un feu couvert de cendre. Elle revint dans la chambre, crut avoir le temps de mettre un couvert à un bout de la table. Et il lui fallut reposer bien vite le litre de vin ; elle n’eut plus la force d’arriver au lit, elle tomba et accoucha par terre, sur un paillasson. Lorsque la sage-femme arriva, un quart d’heure plus tard, ce fut là qu’elle la délivra.

Le zingueur travaillait toujours à l’hôpital. Gervaise défendit d’aller le déranger. Quand il rentra, à sept heures, il la trouva couchée, bien enveloppée, très pâle sur l’oreiller. L’enfant pleurait, emmailloté dans un châle, aux pieds de la mère.

— Ah ! ma pauvre femme ! dit Coupeau en embrassant Gervaise. Et moi qui rigolais, il n’y a pas une heure, pendant que tu criais aux petits pâtés !… Dis donc, tu n’es pas embarrassée, tu vous lâches ça, le temps d’éternuer.

Elle eut un faible sourire ; puis, elle murmura :

— C’est une fille.

— Juste ! reprit le zingueur, blaguant pour la remettre, j’avais commandé une fille ! Hein ! me voilà servi ! Tu fais donc tout ce que je veux ?

Et, prenant l’enfant, il continua :

— Qu’on vous voie un peu, mademoiselle Souillon !… Vous avez une petite frimousse bien noire. Ça blanchira, n’ayez pas peur. Il faudra être sage, ne