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L’ASSOMOIR.

masures en ruines dont les carcasses de poutres restaient debout. Au fond, trouant la nuit salie d’un reste de jour, un feu rouge luisait. Le bruit des marteaux avait cessé. Elle s’avançait prudemment, marchant vers la lueur, lorsqu’un ouvrier passa près d’elle, la figure noire de charbon, embroussaillée d’une barbe de bouc, avec un regard oblique de ses yeux pâles.

— Monsieur, demanda-t-elle, c’est ici, n’est-ce pas, que travaille un enfant du nom d’Étienne… C’est mon garçon.

— Étienne, Étienne, répétait l’ouvrier qui se dandinait, la voix enrouée ; Étienne, non, connais pas.

La bouche ouverte, il exhalait cette odeur d’alcool des vieux tonneaux d’eau-de-vie, dont on a enlevé la bonde. Et, comme cette rencontre d’une femme dans ce coin d’ombre commençait à le rendre goguenard, Gervaise recula, en murmurant :

— C’est bien ici pourtant que monsieur Goujet travaille ?

— Ah ! Goujet, oui ! dit l’ouvrier, connu Goujet !… Si c’est pour Goujet que vous venez… Allez au fond.

Et, se tournant, il cria de sa voix qui sonnait le cuivre fêlé :

— Dis donc, la Gueule-d’Or, voilà une dame pour toi !

Mais un tapage de ferraille étouffa ce cri. Gervaise alla au fond. Elle arriva à une porte, allongea le cou. C’était une vaste salle, où elle ne distingua d’abord rien. La forge, comme morte, avait dans un coin une lueur pâlie d’étoile, qui reculait encore l’enfoncement des ténèbres. De larges ombres flottaient. Et il y avait par moments des masses noires passant devant le feu, bouchant cette dernière tache de clarté, des hommes démesurément grandis dont on devinait les gros