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L’ASSOMMOIR.

l’endroit où elle avait accouché par terre. Comme ça se rencontrait, pourtant ! Quand elles s’étaient perdues de vue toutes deux, autrefois, elles n’auraient jamais cru se retrouver ainsi, en habitant l’une après l’autre la même chambre. Virginie ajouta de nouveaux détails sur elle et son mari : il avait fait un petit héritage d’une tante ; il l’établirait sans doute plus tard ; pour le moment, elle continuait à s’occuper de couture, elle bâclait une robe par-ci par-là. Enfin, au bout d’une grosse demi-heure, la blanchisseuse voulut partir. Poisson tourna à peine le dos. Virginie, qui l’accompagna, promit de lui rendre sa visite ; d’ailleurs, elle lui donnait sa pratique, c’était une chose entendue. Et, comme elle la gardait sur le palier, Gervaise s’imagina qu’elle désirait lui parler de Lantier et de sa sœur Adèle, la brunisseuse. Elle en était toute révolutionnée à l’intérieur. Mais pas un mot ne fut échangé sur ces choses ennuyeuses, elles se quittèrent en se disant au revoir, d’un air très aimable.

— Au revoir, madame Coupeau.

— Au revoir, madame Poisson.

Ce fut là le point de départ d’une grande amitié. Huit jours plus tard, Virginie ne passait plus devant la boutique de Gervaise sans entrer ; et elle y taillait des bavettes de deux et trois heures, si bien que Poisson, inquiet, la croyant écrasée, venait la chercher, avec sa figure muette de déterré. Gervaise, à voir ainsi journellement la couturière, éprouva bientôt une singulière préoccupation ; elle ne pouvait lui entendre commencer une phrase, sans croire qu’elle allait causer de Lantier ; elle songeait invinciblement à Lantier, tout le temps qu’elle restait là. C’était bête comme tout, car enfin elle se moquait de Lantier, et d’Adèle, et de ce qu’ils étaient devenus l’un et l’autre ;