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LES ROUGON-MACQUART.

sergent de ville fila ensuite par la cour, reprit sur le trottoir sa marche raide et sévère, à pas comptés.

Dans les premiers temps, tout fut en l’air chez la blanchisseuse. Lantier avait bien sa chambre séparée, son entrée, sa clef ; mais, comme au dernier moment on s’était décidé à ne pas condamner la porte de communication, il arrivait que, le plus souvent, il passait par la boutique. Le linge sale aussi embarrassait beaucoup Gervaise, car son mari ne s’occupait pas de la grande caisse dont il avait parlé ; et elle se trouvait réduite à fourrer le linge un peu partout, dans les coins, principalement sous son lit, ce qui manquait d’agrément pendant les nuits d’été. Enfin, elle était très ennuyée d’avoir chaque soir à faire le lit d’Étienne au beau milieu de la boutique ; lorsque les ouvrières veillaient, l’enfant dormait sur une chaise, en attendant. Aussi Goujet lui ayant parlé d’envoyer Étienne à Lille, où son ancien patron, un mécanicien, demandait des apprentis, elle fut séduite par ce projet, d’autant plus que le gamin, peu heureux à la maison, désireux d’être son maître, la suppliait de consentir. Seulement, elle craignait un refus net de la part de Lantier. Il était venu habiter chez eux, uniquement pour se rapprocher de son fils ; il n’allait pas vouloir le perdre juste quinze jours après son installation. Pourtant, quand elle lui parla en tremblant de l’affaire, il approuva beaucoup l’idée, disant que les jeunes ouvriers ont besoin de voir du pays. Le matin où Étienne partit, il lui fit un discours sur ses droits, puis il l’embrassa, il déclama :

— Souviens-toi que le producteur n’est pas un esclave, mais que quiconque n’est pas un producteur est un frelon.

Alors, le train train de la maison reprit, tout se