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L’ASSOMMOIR.

calma et s’assoupit dans de nouvelles habitudes. Gervaise s’était accoutumée à la débandade du linge sale, aux allées et venues de Lantier. Celui-ci parlait toujours de ses grandes affaires ; il sortait parfois, bien peigné, avec du linge blanc, disparaissait, découchait même, puis rentrait en affectant d’être éreinté, d’avoir la tête cassée, comme s’il venait de discuter, vingt-quatre heures durant, les plus graves intérêts. La vérité était qu’il la coulait douce. Oh ! il n’y avait pas de danger qu’il empoignât des durillons aux mains ! Il se levait d’ordinaire vers dix heures, faisait une promenade l’après-midi, si la couleur du soleil lui plaisait, ou bien, les jours de pluie, restait dans la boutique où il parcourait son journal. C’était son milieu, il crevait d’aise parmi les jupes, se fourrait au plus épais des femmes, adorant leurs gros mots, les poussant à en dire, tout en gardant lui-même un langage choisi ; et ça expliquait pourquoi il aimait tant à se frotter aux blanchisseuses, des filles pas bégueules. Lorsque Clémence lui dévidait son chapelet, il demeurait tendre et souriant, en tordant ses minces moustaches. L’odeur de l’atelier, ces ouvrières en sueur qui tapaient les fers de leurs bras nus, tout ce coin pareil à une alcôve où traînait le déballage des dames du quartier, semblait être pour lui le trou rêvé, un refuge longtemps cherché de paresse et de jouissance.

Dans les premiers temps, Lantier mangeait chez François, au coin de la rue des Poissonniers. Mais, sur les sept jours de la semaine, il dînait avec les Coupeau trois et quatre fois ; si bien qu’il finit par leur offrir de prendre pension chez eux : il leur donnerait quinze francs chaque samedi. Alors, il ne quitta plus la maison, il s’installa tout à fait. On le voyait