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L’ASSOMMOIR.

train de pincer quelque bonne maladie. Deux fois, elle retourna se planter devant la vitre, son œil collé de nouveau, vexée de retrouver ces sacrés pochards à couvert, toujours gueulant et buvant. Le coup de lumière de l’Assommoir se reflétait dans les flaques des pavés, où la pluie mettait un frémissement de petits bouillons. Elle se sauvait, elle pataugeait là-dedans, dès que la porte s’ouvrait et retombait, avec le claquement de ses bandes de cuivre. Enfin, elle s’appela trop bête, elle poussa la porte et marcha droit à la table de Coupeau. Après tout, n’est-ce pas ? c’était son mari qu’elle venait demander ; et elle y était autorisée, puisqu’il avait promis, ce soir-là, de la mener au Cirque. Tant pis ! elle n’avait pas envie de fondre comme un pain de savon, sur le trottoir.

— Tiens ! c’est toi, la vieille ! cria le zingueur, qu’un ricanement étranglait. Ah ! elle est farce, par exemple !… Hein ? pas vrai, elle est farce !

Tous riaient, Mes-Bottes, Bibi-la-Grillade, Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif. Oui, ça leur semblait farce ; et ils n’expliquaient pas pourquoi. Gervaise restait debout, un peu étourdie. Coupeau lui paraissant très gentil, elle se risqua à dire :

— Tu sais, nous allons là-bas. Faut nous cavaler. Nous arriverons encore à temps pour voir quelque chose.

— Je ne peux pas me lever, je suis collé, oh ! sans blague, reprit Coupeau qui rigolait toujours. Essaye, pour te renseigner ; tire-moi le bras, de toutes tes forces, nom de Dieu ! plus fort que ça, ohé, hisse !… Tu vois, c’est ce roussin de père Colombe qui m’a vissé sur sa banquette.

Gervaise s’était prêtée à ce jeu ; et, quand elle lui lâcha le bras, les camarades trouvèrent la blague si