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L’ASSOMMOIR.

pant le silence tiède du quartier vide de voitures. Elles s’arrêtaient un instant dans la cour, reprenaient les raquettes, tâchaient de faire croire qu’elles n’avaient pas bougé de là. Et elles remontaient chez elles, en arrangeant une histoire, dont elles ne se servaient souvent pas, lorsqu’elles trouvaient leurs parents trop occupés à s’allonger des gifles, pour une soupe mal salée ou pas assez cuite.

Maintenant, Nana était ouvrière, elle gagnait quarante sous chez Titreville, la maison de la rue du Caire où elle avait fait son apprentissage. Les Coupeau ne voulaient pas la changer, pour qu’elle restât sous la surveillance de madame Lerat, qui était première dans l’atelier depuis dix ans. Le matin, pendant que la mère regardait l’heure au coucou, la petite partait toute seule, l’air gentil, serrée aux épaules par sa vieille robe noire trop étroite et trop courte ; et madame Lerat était chargée de constater l’heure de son arrivée, qu’elle disait ensuite à Gervaise. On lui donnait vingt minutes pour aller de la rue de la Goutte-d’Or à la rue du Caire, ce qui était suffisant, car ces tortillons de filles ont des jambes de cerf. Des fois, elle arrivait juste, mais si rouge, si essoufflée, qu’elle venait bien sûr de dégringoler de la barrière en dix minutes, après avoir musé en chemin. Le plus souvent, elle avait sept minutes, huit minutes de retard ; et, jusqu’au soir, elle se montrait très câline pour sa tante, avec des yeux suppliants, tâchant ainsi de la toucher et de l’empêcher de parler. Madame Lerat, qui comprenait la jeunesse, mentait aux Coupeau, mais en sermonnant Nana dans des bavardages interminables, où elle parlait de sa responsabilité et des dangers qu’une jeune fille courait sur le pavé de Paris. Ah ! Dieu de Dieu ! la poursui-