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L’ASSOMMOIR.

gnaient, ce qui ne l’empêchait pas de prendre leur chez eux comme une auberge, où l’on couchait à la semaine. Elle savait qu’elle payait son lit d’une danse, elle se tâtait et venait recevoir la danse, s’il y avait bénéfice pour elle. D’ailleurs, on se lasse de taper. Les Coupeau finissaient par accepter les bordées de Nana. Elle rentrait, ne rentrait pas, pourvu qu’elle ne laissât pas la porte ouverte, ça suffisait. Mon Dieu ! l’habitude use l’honnêteté comme autre chose.

Une seule chose mettait Gervaise hors d’elle. C’était lorsque sa fille reparaissait avec des robes à queue et des chapeaux couverts de plumes. Non, ce luxe-là, elle ne pouvait pas l’avaler. Que Nana fît la noce, si elle voulait ; mais, quand elle venait chez sa mère, qu’elle s’habillât au moins comme une ouvrière doit être habillée. Les robes à queue faisaient une révolution dans la maison : les Lorilleux ricanaient ; Lantier, tout émoustillé, tournait autour de la petite, pour renifler sa bonne odeur ; les Boche avaient défendu à Pauline de fréquenter cette rouchie, avec ses oripeaux. Et Gervaise se fâchait également des sommeils écrasés de Nana, lorsque, après une de ses fugues, elle dormait jusqu’à midi, dépoitraillée, le chignon défait et plein encore d’épingles à cheveux, si blanche, respirant si court, qu’elle semblait morte. Elle la secouait des cinq ou six fois dans la matinée, en la menaçant de lui flanquer sur le ventre une potée d’eau. Cette belle fille fainéante, à moitié nue, toute grasse de vice, l’exaspérait en cuvant ainsi l’amour dont sa chair semblait gonflée, sans pouvoir même se réveiller. Nana ouvrait un œil, le refermait, s’étalait davantage.

Un jour, Gervaise qui lui reprochait sa vie crûment, et lui demandait si elle donnait dans les pantalons rou-