Page:Zola - La Débâcle.djvu/117

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rêta quelques secondes, le cœur battant, devant la porte de la pièce où il savait que se trouvait l’empereur ; mais, là, dans cette pièce, pas un bruit, un silence de mort. Et, en haut, au seuil de la chambre de bonne où elle avait dû se réfugier, la vieille madame Desroches eut d’abord peur de lui. Ensuite, quand elle l’eut reconnu :

— Ah ! mon enfant, dans quel affreux moment faut-il qu’on se retrouve !… Je la lui aurais donnée bien volontiers, ma maison, à l’empereur ; mais il a, avec lui, des gens trop mal élevés ! Si vous saviez comme ils ont tout pris, et ils vont tout brûler, tant ils font du feu !… Lui, le pauvre homme, a la mine d’un déterré et l’air si triste…

Puis, lorsque le jeune homme s’en alla, en la rassurant, elle l’accompagna, se pencha au-dessus de la rampe.

— Tenez ! murmura-t-elle, on le voit d’ici… Ah ! nous sommes bien tous perdus. Adieu, mon enfant !

Et Maurice resta planté sur une marche, dans les ténèbres de l’escalier. Le cou tordu, il apercevait, par une imposte vitrée, un spectacle dont il emporta l’inoubliable souvenir.

L’empereur était là, au fond de la pièce bourgeoise et froide, assis devant une petite table, sur laquelle son couvert était mis, éclairée à chaque bout d’un flambeau. Dans le fond, deux aides de camp se tenaient silencieux. Un maître d’hôtel, debout près de la table, attendait. Et le verre n’avait pas servi, le pain n’avait pas été touché, un blanc de poulet refroidissait au milieu de l’assiette. L’empereur, immobile, regardait la nappe, de ces yeux vacillants, troubles et pleins d’eau, qu’il avait déjà à Reims. Mais il semblait plus las, et, lorsque, se décidant, d’un air d’immense effort, il eut porté à ses lèvres deux bouchées, il repoussa tout le reste de la main. Il avait dîné. Une expression de souffrance, endurée secrètement, blêmit encore son pâle visage.

En bas, comme Maurice passait devant la salle à man-